lundi 24 mars 2014

L'initiative selon Hofstede


Parfois, quand on voyage, on est témoin de scènes parfois très bizarres. En fait, dans la vie, tout est une question de paradigme; une sorte de gabarit du comportement qui, quand on ne le connaît pas, peut nous faire pleurer, enrager ou, comme la situation de ce matin, nous faire rire. J’ai été impliquée dans l’un de ces évènements qu’on ne comprend qu’après avoir réfléchi un moment afin de remettre les choses en perspectives. Voici donc l’incident. 

Je suis arrivée à la porte du Pavillon 1 de la Porte de Versailles vers 9 h 50; je me suis placée sous la bannière qui indique le passage des auteurs en dédicace. 


Ça faisait maintenant trois jours que le jeu se répétait et je savais que la porte allait s’ouvrir à 10 h pile. Les Parisiens sont très précis. J’écoutais distraitement les commentaires des autres qui comme moi, étaient attendus pour une dédicace à 10 h. 



Bref, derrière moi, on contestait le fait d’empêcher les auteurs d’entrer avant l’heure des visiteurs payants. Les administrateurs ne comprennent-ils pas que les écrivains veulent se préparer avant l’arrivée des lecteurs ? J’avais entendu tout ça dans les jours précédents; d’autres personnes, mais les mêmes commentaires. Un peu blasée, j’étais heureuse de voir la porte s’ouvrir à 9 h 59. « Bravo », me dis-je. 

Mais je n’étais pas au bout de mes peines... Je savais bien sûr que cette entrée au goutte-à-goutte serait immédiatement suivie d’une file d’attente pour la vérification des badges. Or, ce matin, personne ne passait la barrière fragile composée d’un simple ruban rouge retenu par deux préposés à la vérification. « Que se passe-t-il ? » demande le gars planté à côté de moi. Nous apprenons ainsi que le machin servant à valider les codes de badge ne fonctionne pas. La femme devant moi suggère qu’on nous laisse tout de même entrer quitte à prendre en note nos noms. 

— Il est impossible de faire cela. Nous sommes désolés, mais nous attendons la directive.

Bien placée à l’avant, je voyais très bien le pincement de lèvre qui ajoutait à la détermination butée des préposés de nous empêcher d’entrer dans le Salon... sous aucun prétexte... 

Nous avons attendu ainsi vingt minutes. Soudain, la grogne monte à côté, derrière et devant moi. Une suggestion est énoncée : « ils ne sont que deux... on a qu’à pousser et entrer... » Dans ma tête roule une image; voilà que je me retrouvais en pleine révolution française ! Mon cœur de rebelle a souri. La réponse du groupe devient évidente quand je sens une pression venant de derrière moi; mes pieds lèvent presque de terre. J’entends les rires fuser autour de moi et je vois les signes de peur s’immiscer sur le visage des préposés. De toute évidence, l’homme et la femme ne résisteraient pas longtemps à ce groupe de rebelles français et d’une Québécoise indocile. 

En même temps que j’entends la rage grimper d’un cran dans la file des professionnels, juste à côté de mon groupe, je remarque que trois personnages se sont ajoutés en avant de nous. Ils étaient grands, costauds et leur crâne rasé reflétait la lumière ambiante. Ils venaient appuyer les deux préposés dans leurs efforts de nous empêcher d'entrer. J’ai l’impression de nager en plein film de la mafia. De toute façon, les trois gonzes ressemblent plus à des Hells Angels qu’à des préposés à l’entretien comme l'indique leur veston. 

Le ridicule de la situation m’a tout simplement fait éclater de rire. Qu’est-ce que l’organisation cherchait à faire ? Éviter une perte d’argent en laissant des gens entrer  dans le Salon? Aucun de nous n’avait à payer de ticket. En revanche, nous avions tous un badge qui nous identifiait comme auteur. Quel risque y avait-il à nous laisser entrer dans l’enceinte sans valider nos badges ? Comme tous les autres dans la file d’attente, je n’avais qu’une seule réponse à cette question : rien. 

Pourquoi tout ce scénario alors ? Du coup, mon cerveau s'est mis à chauffer. Que se passait-il, là, sous mes yeux un souvenir revenait à la surface pour me faire comprendre.  L’initiative ! On applique cette valeur de façon différente ici ! Chez nous, en Amérique, le résultat serait différent : les préposés appliqueraient une logique différente de la directive si celle-ci n’avait aucun sens à leurs yeux. Ici, le facteur initiative s’exprimait par le fait d’ajouter des moyens pour faire appliquer la directive de façon absolue. Est-ce stupide ? Non... c’est juste différent ! 

Je me retrouvais devant l’exemple parfait du comportement organisationnel que j’ai étudié lors de mes études de MBA. Le facteur hiérarchique du modèle culturel de Hoftede. Wow ! C’était presque de la science-fiction. J’étais le témoin vivant d’une image culturelle organisationnelle. 

La France chiffre très haut dans la dimension « Distance hiérarchique » du modèle. En un mot, les Français ont tendance à être dépendant de l’autorité. En somme, sans directive, on n’agit pas. En plus, la directive ne peut venir que du patron. Un modèle qui n’est pas très bon pour développer une initiative organisationnelle...  

Ce que je voyais se dérouler devant moi faisait un énorme contraste avec l’application du modèle au Canada. Nous avons un résultat beaucoup plus bas sur l’échelle de la distance hiérarchique. À cet effet, disons que les employés se sentent plus près des patrons et que, également de façon générale, les leaders consultent plus les travailleurs. Ainsi, le terrain est fertile pour développer de l’initiative qui pourrait résulter en contestation de l’autorité. 
Bref, un peu ébahie par la situation bizarre que je vivais, j’ai présenté mon badge... que la valideuse n’a pu lire. Et merde ! Du coup, le plus grand des fier-à-bras attrape mon coude, tout en disant : 

— Ma p’tite dame, placez-vous de côté pour qu’on regarde ça. 

En Nord-Américaine complètement immune à la hiérarchie compliquée, j’ai réagi en tirant mon bras pour le sortir de l’étau musculaire. Mes pieds solidement placés sur le sol, je me tenais debout en bloquant complètement le seul passage que les autres devaient emprunter pour avoir accès au Salon. D’une voix courroucée, j’ai répliqué en pointant mon doigt directement sous le nez du costaud. 

— Ne me bousculez pas ! J’en ai assez de ces emmerdes ! Vous allez trouver une solution pour mon badge sur le champ ! Je ne bouge pas avant ! Personne d’autre ne passe ! 

Pendant que je parlais, il y avait cette idée qui trottait dans ma tête : « pourquoi ai-je encore choisi de confronter le plus gros ? Espèce de soupe au lait, que feras-tu s’il te donne une baffe ? » Puis, j’ai entendu quelques applaudissements timides derrière moi;  quelqu’un a dit « Elle en a du culot la Québécoise ! »  Comment savait-il que je venais du Québec? Ah oui ! L’accent ! De mon côté, avec un air de rebelle farouche, je ne quittais pas des yeux le gaillard. Lentement, j’ai retiré mon badge des mains de la préposée et je suis partie vers mon kiosque. 

Je n’ai jamais su si le code de mon badge avait passé la validation... 

La journée commençait bien ! 

Pour en savoir plus sur le modèle de Hofstede, vous pouvez consulter les sites web suivants : 


Entretemps, valorisons la différence ! Si cela n’aide pas toujours à résoudre des problèmes complexes, au moins ça apporte une distraction fort hilarante ! 

Plume/ Suzie Pelletier

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