mardi 14 avril 2015

Paris 2015 – (3) Il y a des crétins même à Paris


Notre arrivée à Paris se déroule… comme le début de notre voyage, c’est à dire plutôt chaotique. En raison des ennuis d’avion de la veille, nous débarquons dans la Ville lumière à 9 h 40 au lieu de 7 h. Nous récupérons nos bagages en un tour de main (ouf !) et vérifions que tout est en ordre. Nous passons la douane facilement. Tout allait si bien que nous anticipions une arrivée rapide à notre hôtel… un bon déjeuner… miam !

En sortant dehors, il devient évident que notre transport prévu dans le forfait n’est pas là. Deux autres couples doivent utiliser le même transfert. Pas grave. Quelques coups de fil plus tard, suivi de 40 minutes d’attente, notre chauffeur se pointe enfin. Je connais la routine. Nous serons probablement les derniers à être déposés à notre hôtel. Mauvais sort ? Je ne sais pas, mais je me fis à mes expériences antérieures. Je ferme les yeux et je laisse le conducteur nourrir la discussion.

L’homme est Français. Bien sûr. Des six passagers dans le véhicule, cinq sont francophones et l’autre, anglophone, comprend très bien le français. Pourquoi le chauffeur s’obstine-t-il à nous faire la conversation en anglais ? Deux personnes lui rappellent à plusieurs reprises que nous parlons tous le français, mais le crétin continue d’utiliser la langue anglaise.

Soudain, il y a un point mort dans le flot de paroles. J’ouvre les yeux; je les avais fermés pour tenter de calmer cette toux intense provoquée par les dernières heures dans un habitacle pressurisé à l’air recyclé. Assise au milieu du siège arrière, j’aperçois son visage dans le miroir, ou plutôt je vois deux yeux très foncés. Il me regarde directement. Aussitôt qu’il voit mes prunelles, il s’engage verbalement sur un thème… plutôt glissant.

— Toute organisation qui se respecte n’a qu’un seul boss. La France a un président, le Royaume-Uni, un roi, le Canada un premier ministre. Mais la femme qui cherche son indépendance force la présence de deux boss dans la famille. Ça ne marche pas et il y a des divorces.

« Bon, me dis-je (sans ouvrir la bouche), les femmes portent tous les divorces sur nos épaules maintenant ! Mais d’où sort-il, ce crétin ? » Dans l’automobile, tous les voyageurs se taisent. De toute évidence, la dame assise à côté de moi se crêpe le chignon. Denis, à ma droite, se retient difficilement de rire aux éclats. Sent-il que, même en tentant douloureusement de ne pas réagir, je fusille littéralement du regard les yeux bruns qui m’observent intensément ? Je ne parle pas. L’effort est pénible. J’essaie de me raisonner. Je comprends que l’homme me cherche. Je ne plonge pas. Je vois la déception dans ses prunelles. Je souris de satisfaction. Oh ! Quelle erreur !

Le crétin serre les mains sur son volant, avale une grosse gorgée d’air, puis il reprend sa litanie. Toujours en anglais. « Est-ce que j’ai l’air anglophone ? » Bon. Passons ce détail. L’homme continue.

— Nous les Français, nous avons raison ! Nos femmes sont plus dociles ! Au Canada, ta femme te manipule et tu penses tout contrôler. Tu crois qu’elle t’appelle pour rapporter qu’elle est de retour à la maison, mais dans le fond, elle te convainc de faire un tour à l’épicerie parce qu’ELLE n’a plus de lait. « Oui bébé », que tu réponds à ta femme, docilement.

Un crétin à Paris. Si j’avais cru…

Denis se plie en deux pour tenter de ne pas glousser trop fort. Je pense qu’il réalise à quel point j’ai envie de répliquer. Il sait que ma maîtrise de la langue anglaise me permettrait de le remettre à sa place facilement. En français également. Moi, je regarde le miroir où un visage anticipe l’effet de ses paroles. Je ferme les yeux et appuie ma tête sur le dossier. Par mes paupières légèrement entrouvertes, je vois la réaction de déception dans les prunelles brunes. Mais le crétin continue. En français cette fois. Il remet en question la présence d’Arabes, de musulmans, des « black » comme il dit sur le territoire français. Je réponds dans ma tête en tentant de ne pas pincer les lèvres : « Peut-être parce que la France a foutu le bordel dans leur pays aux siècles derniers et, en contrepartie, on leur a donné une citoyenneté française ? » Le malotru poursuit sa pensée.

— Je ne suis pas raciste. Mais je ne les aime pas.

« Crétin, que je me dis. T’es pas raciste, t’es juste chauvin… tu hais tout le monde de façon égale ! » Mais je ne parle pas. Si j’ouvre les yeux, c’est uniquement pour voir où nous sommes rendus dans les dédales des rues de Paris afin d’évaluer le temps qui reste à endurer ce moron. J’évite le miroir, espérant que mon refus de mordre à ses propos l’incitera enfin à se taire. Peine perdue. Il nous a déposés en dernier, comme anticipé, probablement pour faire durer mon supplice. Il n’a jamais fermé la bouche. Des tonnes de sottises. 

À notre arrivée à l’hôtel, il m’a fait un magnifique sourire avant de me tendre la main. J’observe la paluche un moment. Puis je regarde l’homme pour voir que son visage reflète totalement sa pensée. Je ne parle pas même si je n’en peux plus. De toute façon, je sais que mon visage reflète très bien la profondeur de ma pensée. J’en suis certaine. « Si tu espères obtenir un pourboire après ce voyage au fond de la noirceur de ton âme, t’es le plus crétin des crétins. » Que je me dis. Je ramasse ma valise puis, le visant de plein fouet, je refuse de lui parler ou de serrer sa main.

J’espère seulement que ce crétin ne sera pas le chauffeur qui viendra nous chercher dans dix jours…

  
Suzie Pelletier 


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