jeudi 30 juillet 2015

Valcartier - été 1974


Je n’ai pas beaucoup écrit sur mon blogue au cours des dernières semaines. Je corrige. J’ai six ou sept billets en chantier, mais je n’ai publié aucun d’eux pour le moment. J’ai plutôt mis mon énergie à terminer le tome VI - Emmanuel de la série Le Pays de la Terre perdue et à la traduction du tome I - Le réveil, de la même série. Je me suis reposée aussi, j’ai jardiné presque tous les jours et j’ai lu plusieurs livres. 


Aujourd’hui, je termine l’un de ces textes qui trottent dans ma tête depuis quelques jours, parce que l’une des nouvelles répétées dans tous les quotidiens ces derniers jours me replonge profondément dans mes souvenirs. Il y a de ces événements qu’on n’oublie jamais. Jamais. Le contexte : La base des Forces armées canadiennes de Valcartier; le 30 juillet 1974; une grenade « live » éclate dans une classe de cadets; le résultat reste effarant : 65 blessés, dont trois militaires et 6 morts, tous des cadets. Je me souviens de ce jour où l’horreur a frappé. Une terrible catastrophe qui nous a tous atteints profondément. J’y étais, non pas dans la classe de cadets, mais pas très loin dans un cours d’élève officier. Ce jour-là, l’atmosphère sentait la terreur. Les ambulances sonnaient la détresse. Les militaires couraient partout en tentant de rassurer tout le monde. Le système téléphonique s’est embourbé et je n’ai pu rassurer mes parents que tard en soirée. J’avais peur. Ça aurait pu être l’une de nos compagnies... 


Puis la vie a continué. Notre jeunesse et notre soif de vivre nous a fait oublier la catastrophe en quelques jours. L’horreur, les morts et les blessés aussi. La vie nous attendait et nous voulions la vivre en accéléré. Pas le temps pour la compassion. 


D’autres images surgissent dans ma tête. 

Je me souviens du 13 août 1974. C’était ma fête, j’avais 20 ans et mon avenir était assuré. Je me revois, assise en tailleur sur mon lit dans la chambre à quatre, à la caserne, tard en soirée. Je suis seule, mes camarades étant restées au mess pour boire à ma santé. Je ne bois pas. Je suis donc revenue pour passer aux choses sérieuses. J’appelle ce moment l’heure des choix. Devant moi, étendues sur la couverture rouge qui recouvre mon lit, se trouvent les offres de quatre universités. Je les ai relues, une par une. Puis j’ai mis les trois refus dans leur enveloppe de retour et j’y ai collé un timbre. J’ai relu celle de Laval. Ouais. L’université Laval à Québec offrait le meilleur programme à mon avis. Une carrière en océanographie m’attendait. De longues études, mais un rêve magnifique : devenir le Jacques-Yves Cousteau québécois. Ça passait par une maîtrise à l’université Fraser de Vancouver et un doctorat à Barcelone. Je me voyais prendre les commandes d’un bateau comme la Calypso, pour étudier les océans. Ce soir-là, mes mains tremblaient d'anticipation quand j’ai mis mon acceptation dans l’enveloppe. J’ai dû m’y prendre à deux fois pour mouiller le dos du timbre, tant ma bouche était sèche. 

Une autre image surgit dans ma tête. Le 18 août 1974. J’avais 20 ans et cinq jours. J’appelle ce moment la déchirure. Un saut. Un seul. Mon pied gauche se dépose mal sur le sol. Mon genou lâche. La douleur me fait perdre connaissance. Partie en ambulance, je me réveille dans un lit d’hôpital. 

Quelques semaines plus tard, je me présente à l’hôpital de Valcartier pour un suivi. La veille, on m’avait cavalièrement recommandé de changer de carrière. « Le genou emmanché de même, me dit le médecin, tu ne pourras pas travailler sur les bateaux ». Mon rêve s’était évanoui dans cette parole juste, mais qui m’avait écorchée. Ce matin-là, je serrais les dents. Je marchais lentement en m’aidant de béquilles, ma jambe gauche devenue inutile. Je déambulais comme un automate, en regardant le sol plutôt que devant moi. J’étais en colère. On m’avait volé mon avenir. Je me suis laissée lourdement tomber sur un banc, plaçant négligemment mes outils de marche à côté d’une autre paire de béquilles. J’ai fixé le mur en face de moi, notant les éraillures dues au passage du temps, sans me soucier de ce qui m’entourait. 

— Bonjour. Qu’est-ce qui vous est arrivé ? 

Je sursaute. Je ne veux pas parler. Je ne veux pas qu’on me parle. Je veux vivre ma rage toute seule. J’examine mon voisin d’un regard courroucé. Un uniforme de cadet. 14 ans, 15 peut-être. Une jambe en moins. Un bras enveloppé; une brûlure sans doute. J’ai le réflexe de regarder ma jambe enflée et douloureuse. Elle est toujours là, elle. Elle ne sera plus jamais la même, mais elle guérira, c’est sûr. Un motton se coince dans ma gorge. Il me parle à nouveau. 

— Je quitte l’hôpital aujourd’hui. J’attends mon père. 

J’ai la bouche sèche. Je n’arrive pas à articuler un seul mot. Mes idées s’emmêlent. Ma tête tourne et ça me donne la nausée. Je me traite d’égocentrique parce qu’il y a pire que moi et que je pleure sur mon sort. Lui est unijambiste. Ma jambe fait tellement mal. Je ravale. J’ai le goût de pleurer, mais je ne sais plus pour qui. J’essaye de parler. 

— Tu vas faire quoi maintenant ? 

Le jeune homme me regarde longtemps avant de parler. 

— Je ne sais pas. Je vais terminer mon secondaire puis je verrai après. Moi j’ai une vie, mais six de mes camarades l’ont perdue. Je leur dois de faire du mieux que je peux, pour ne jamais les oublier. Pour le reste de mes jours. 

— Oui, mais... Tu vas faire comment ? dis-je en pointant l’absence de son membre. 

— Un pas à la fois... me dit-il en regardant l’espace où sa jambe aurait dû être.

Son rire amer éclate dans la salle d’attente. Une brûlure vive sur mon âme me fait trembler de tous mes os.

Je n’ai jamais oublié cette conversation. J’ai appelé ce moment le début de ma guérison. À la suite de cette rencontre, j’ai levé la tête et redressé les épaules. J’ai foncé dans la vie, à la vitesse de mes béquilles, puis d’une canne. Toujours en boitant. L’expression « un pas à la fois » s’est transformée en leitmotiv chaque fois que la vie m’a bousculée. Ma volonté de « savourer chaque seconde intensément » est devenue le fondement principal de ma philosophie de vie. Je savais que j’aurais mal toute ma vie, ma jambe étant irrémédiablement brisée. J’avais perdu mon rêve d’avenir, mais il m’appartenait d’en inventer d’autres. J’avais une vie. 

Je dois une partie de ma guérison longue et pénible à l’un des survivants de cette tragédie du 30 juillet 1974. Étant réserviste, on m’a bien traitée. On n’a jamais lésiné sur les services médicaux, psychologiques et financiers. Mes blessures ont guéri et j’ai appris à laisser la vie me faire des cadeaux : un mariage heureux, des enfants magnifiques, des petits-enfants surprenants, une bonne santé physique et mentale, une carrière bien remplie. 

Avant que l’ombudsman des Forces canadiennes ne sorte son rapport sur l’explosion d’une grenade en 1974, je ne savais pas qu’un vide juridique avait empêché les cadets impliqués dans cette terrible catastrophe de recevoir des soins appropriés ou une compensation. Quand j’ai appris, je me suis sentie outrée, même après toutes ces années. Je suis particulièrement en accord avec l’un des commentaires de Gary Walbourne : « Il est contraire aux principes d’équité d’offrir de l’aide, des indemnités et des avantages à des membres des Forces canadiennes touchés directement ou indirectement par l’incident de 1974 tout en n’offrant pas un soutien similaire aux jeunes garçons qui étaient présents dans les casernements lors de l’explosion. »

J’ai été mieux traitée avec ma blessure, invalidante certes, mais mineure comparée à celle des cadets. Je suis contente de constater que l’on reconnaît enfin la douleur des survivants de cette catastrophe. Mais ce retard de 41 ans à reconnaître et à compenser la douleur physique et mentale qu’ils ont subie est inacceptable. Les excuses faites par le ministre de la Défense nationale ne remplaceront jamais ces années d'enfer que ces gens ont vécues en raison du manque de soins appropriés. Comme si la catastrophe s’était poursuivie pour eux pendant 41 ans. C’est atroce !


Moi, je n’ai jamais oublié ce cadet que j’ai rencontré à Valcartier. Je ne sais pas son nom, je ne sais pas ce qu’il est devenu, mais cela n’a aucune importance. Il garde une place de choix dans mon cœur et dans ma mémoire.



Suzie Pelletier 

Merci d’encourager l’édition indépendante 





  

vendredi 10 juillet 2015

Été 2015 - Rivière-du-Loup

                                               **** Autres textes sur les voyages ****



Située à 200 kilomètres de Québec, à cheval sur la rivière du Loup, la seigneurie de Rivière-du-Loup a été fondée en 1673 par Charles Aubert de La Chesnaye, un puissant homme d’affaires et politicien de la Nouvelle-France. En 1802, la Seigneurie est achetée par Alexandre Fraser. Elle prend alors le nom de son propriétaire pour devenir, au fil du temps, Fraserville. Sous son leadership, la ville prend son essor et l’ensemble de la municipalité s’élabore selon un plan urbain défini. Ce n’est qu’en 1919 que la cité reprendra son nom original de Rivière-du-Loup.

L’activité économique de la ville est très variée et l’exploitation des forêts et des tourbières demeurent les plus importantes. L'agriculture, la culture et le tourisme sont aussi fort importants, tout comme plusieurs industries. 

Bien sûr, nous connaissions cette ville d’environ 20 000 habitants qui sert de carrefour entre Québec, la Gaspésie le Nouveau-Brunswick, les États-Unis (Maine) et, par voie navigable, avec la rive nord du fleuve Saint-Laurent. Trop pressés de nous rendre à notre destination, nous ne faisions qu’un court arrêt imposé par les longs trajets. Cette fois, nous voulions l’explorer un peu plus.

Répondant à l’envie de vagabonder dans cette ville construite en paliers, nous avons suivi un circuit pédestre qui nous présente des bâtiments datant du 19e siècle et de style néo-Queen Anne reconnaissable entre autres par ses toits mansardés. La balade d’environ deux heures nous a fait comprendre le vieux Rivière-du-Loup. 






Il faut rappeler que, comme c'est le cas pour beaucoup de municipalité le long de la côte sud du fleuve Saint-:Laurent, les bâtiments d'origine n'existe plus. Les Anglais ont envahi la Nouvelle-France en 1759 ont tout brûlé sur leur passage.


Le parc de la Pointe nous attirait énormément. En bordure du fleuve Saint-Laurent, le parc s’étire sur 5 kilomètres à partir du port et le long de la rue Mackay. On y marche, on y court, on y fête, et on y mange. Un peu partout, on peut voir des tables à piquenique, des pavillons, des jardins, des espaces pour le sport, des emplacements pour les évènements culturels et sociaux, etc. Pour nous, ce fut le moment de savourer l’air frais du large après deux heures de marches dans une ville humide surchauffée par le soleil. 



Juste avant de prendre la route pour nous rendre à Saint-Arsène, nous avons eu le temps de visiter la plus grosse (33 mètres) des chutes de la rivière. Cette visite nous rappelle que Rivière-du-Loup est l’une des premières villes du Québec à produire son électricité. 





Pourquoi Saint-Arsène ? Une toute petite ville de 1 200 habitants sise à 15 kilomètres à l’est de Rivière-du-Loup. Parce que nous avions rendez-vous avec nos amis Marie-Lyne et Mario pour le souper ! Une belle soirée entre amis ! Rien de mieux pour couper un beau voyage en deux ! 






Vive les voyages ! Vive les amis !

mardi 7 juillet 2015

Été 2015 - Saint-Jean-Port-Joli


Pour ce début de périple dans le bas du fleuve, le soleil est au rendez-vous. Une chaleur humide ralentissait nos pas et le vent du large était trop léger pour pousser au loin cette moiteur qui nous engourdissait. Nous avons déambulé lentement dans les rues de Saint-Jean-Port-Joli, observant les maisons d’époque de la fin du 18e siècle, début du 19e. Bien sûr, la présence des Français est plus lointaine. Cependant, les Anglais ont attaqué la colonie française en 1759 et ils ont d’abord brûlé les maisons et les bâtiments de ferme qui se trouvaient le long de la côte avant de se rendre à Québec. Les seigneuries ont dû reconstituer leur domaine après la conquête.

Nos pas nous ont conduits en face de l’Église, puis vers le petit port. Nous sommes revenus à notre point de départ par un détour pour voir l’exposition des sculptures, une résultante des derniers festivals internationaux de la sculpture. Le prochain se tiendra en 2016.  

Saint-Jean-Port-Joli est une jolie petite ville côtière sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, une centaine de kilomètres à l’est de la ville de Québec. À notre habitude de voyager le plus rapidement possible vers le parc de la Gaspésie, nous passons presque tous les étés à proximité de cette municipalité sans jamais la visiter. Cette année, nous avons décidé de voyager autrement, en portant l’accent sur le Bas-du-Fleuve; notre première destination fut Saint-Jean-Port-Joli.

Les nombreux voyages de foin à l’odeur de l’herbe fraîchement coupée nous font comprendre que le travail de la ferme est une activité économique très importante dans le coin. Bien sûr, le tourisme prend une place de choix dans l'économie de la ville. 

La Seigneurie de Port-Joly a été concédée par le comte Louis de Buade de Frontenac, alors gouverneur de la Nouvelle-France en 1677. Saint-Jean-Port-Joli devient une paroisse en 1721 et obtient son statut de municipalité en 1845. Aujourd’hui, le village de moins de 3 500 habitants fait partie de la municipalité régionale de comté de L’Islet, dans la région administrative Chaudière-Appalache. Nommé capitale culturelle du Canada en 2005, le village est mondialement connu son festival international des sculptures et celui des violons d’automne.





Un petit port accueille les touristes qui utilisent l'autoroute du 17e siècle, le fleuve Saint-Laurent, pour s'y rendre.









 Pour notre seule soirée dans le village, nous habitons à l’hôtel Blanche d’Haberville. Très rapidement, nous trouvons un restaurant à notre goût où fruits de mer et steak « bleu » nous accueillent chaleureusement. Le personnel sympathique et professionnel de La Coureuse des grèves nous offre une belle table et des mets savoureux.

Bon voyage !

Suzie Pelletier 
Merci d’encourager l’édition indépendante 

dimanche 5 juillet 2015

Été 2015 - Voyage dans le bas du fleuve et la Gaspésie


Voilà que nous reprenons bientôt la route ! 

Cette fois, une sorte de vagabondage nous attend dans le bas du fleuve.


Au beau milieu de cette vadrouille, nous avons prévu une période de cinq jours pour visiter nos merveilleuses montagnes du parc de la Gaspésie... Denis grimpera quelques montagnes avec son appareil photo pour revenir avec le bonheur imprimé sur le visage et des millions de photos qui feront la joie de ses fans. Quant à moi, une blessure que je soigne encore me force à rester au creux de la vallée. Des marches légères de quelques kilomètres, la piscine chauffée et la salle de séjour du Gîte du mont Albert m’y attendront. Assise face à la grande vitrine, j’admirerai le magnifique Mont Albert, lorsque je lèverai mes yeux de l’écran de mon MacBook Air.  

Autrement, nous visiterons des lieux que nous connaissons peu. Toujours trop pressés de descendre directement en Gaspésie, ces villages et ces sites historiques sont encore synonymes de noms placés sur des pancartes accrochées sur le bord de l’autoroute 20. Ce périple nous aidera à changer notre mémoire, passant de mots à des impressions, des images, des gens intéressants. En partant de Québec, notre premier arrêt sera Saint-Jean-Port-Joli. Puis, par la route des Navigateurs (route 132), nous filerons lentement vers Rivière-du-Loup ou nous resterons une journée complète afin de pouvoir passer du temps avec nos amis Marie-Lyne et Mario. Au cours de ce trajet, nous visiterons sans aucun doute Saint-Roch-des-Aulnaies, là où mon ancêtre Jean Pelletier (l’ancêtre de la plupart des Pelletier du Québec...) s’est établi vers 1678 ou 1679. Il y aura aussi les villages de Saint-Denis, de Kamouraska et de Notre-Dame-du-Portage. Ce périple me donnera de nombreuses occasions d’écrire des billets pour mon blogue. Je suis certaine que Denis proposera de nombreux arrêts pour photographier les plages, un oiseau quelconque, un coucher de soleil et bien d’autres.

Nous avons l’intention de récidiver à notre retour en retrouvant le Chemin des Pionniers (route 132) de Saint-Jean-Port-Joli vers Lévis incluant un arrêt de quelques jours pour visiter le site historique de « Grosse-Île-et-le-Mémorial-des-Irlandais » qui a servi de lieu de quarantaine de 1832 à 1839, ainsi que l’île aux grues.


Puis, satisfaits de notre escapade, nous reviendrons à notre domicile dans la région de Montréal pour y passer le reste de l’été...

Suivez nos péripéties sur ce blogue...

Suzie Pelletier
Merci d'encourager l'édition indépendante