* * * Autres textes sur l'écriture * * *
Il y a quelques heures, le Huffington Post Québec a publié mon dernier billet concernant l’industrie du livre au Québec. J’y critique notre système gouvernemental qui, supposément, vise à protéger l’industrie du livre au Québec. J’ai mes doutes, du moins je constate que les auteurs n’y trouvent pas leur compte. Rarement. Je remets ici le texte complet :
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Incohérence dans l’univers du livre au Québec
Un jour, j’ai décidé de publier mon roman. J’ai donc communiqué avec le ministère
de la Culture pour connaître le moyen d’obtenir une subvention. « Voyons
madame ! Il faut appeler les éditeurs ! » m’a-t-on répondu sur
un ton condescendant. Comme si j’étais une imbécile qui dérangeait. Un maringouin
qu’on chasse du revers de la main, ou qu’on écrase. Aux yeux de l’État, j’étais
devenue une auteure. Choquée, je suis restée sans répartie. J’ai étouffé ma question
suivante : « Qui a eu cette idée farfelue d’appeler le fournisseur de
services pour obtenir une subvention ? »
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Incohérence dans l’univers du livre au Québec
Un MBA en poche, l’expérience de partenariat bien encrée sous ma peau,
j’avais le moyen de négocier mon contrat d’égal à égal. Persuadée que mon livre
était une œuvre originale, je savais que les lecteurs allaient l’adorer. Vous
aurez compris que je ne viens pas du milieu littéraire. Ce matin-là, j’ai
compris que le système était discriminatoire au point de tuer la création. J’ai
passé ma carrière à convaincre les gestionnaires que l’adoption des valeurs
d’équité est un élément clé de la croissance d’une entreprise. Je repère
facilement les failles dans un système. Le programme de subventions visant à
protéger notre littérature québécoise a été bâti en vitesse dans les années 60
sans jamais être remis en question. L’incohérence me saute aux yeux.
Examinons une analogie. Imaginer que le gouvernement propose un plan d’aide
financière pour rendre nos maisons plus écologiques. Les entrepreneurs en
construction deviendraient « agréés » et on aurait l’obligation de passer
par eux pour obtenir une subvention. Ainsi, les propriétaires devraient s’en
remettre aux firmes de rénovation qui possèderaient le droit de choisir les projets
qui seraient exécutés… ou pas. On acheminerait la même demande à plusieurs compagnies…
pour ne pas perdre d’énergie à attendre une réponse qu’on prévoit de toute
façon négative. Combien de temps cela prendrait-il pour que les projets qui
enrichissent le milieu de la construction soient toujours privilégiés au
détriment des petits travaux moins payants ? Indépendamment de la qualité
et de l’efficacité des ouvrages. Les firmes se défendraient en affirmant haut
et court qu’elles sont là pour faire de l’argent… qu’elles doivent survivre. Les
propriétaires crieraient à l’arnaque ! On traînerait l’industrie de la
rénovation en cour pour favoritisme. Le gouvernement serait bousculé par la
sphère médiatique. Ça fera la une des journaux et on en parlerait à Enquête et
à La Facture.
Pourquoi plaçons-nous nos auteurs dans un système qui préconise la
discrimination à outrance ? Si vous êtes connu et que vous avez une idée
de livre, on s’imaginera facilement les dollars couler à flot vers les coffres
de l’entreprise. L’éditeur agréé déroulera le tapis rouge. Vous ne savez pas
écrire ? Pas grave, les Ghost Writers
existent pour vous venir en aide. On paiera pour tout ! La rédaction, la
correction, l’infographie, l’impression, la mise en marché. Pourquoi pas une
avance substantielle pour vous accrocher ? Si vous n’êtes pas connu, que
vous en êtes à votre premier livre, l’éditeur évaluera que le retour sur
l’investissement (ne devrait-on pas dire sur la subvention ?) sera
médiocre. Les chances sont qu’on n’ouvrira pas l’enveloppe qui contient votre
manuscrit.
Dans un tel environnement, la décision de publier un ouvrage par rapport à
un autre perd son sens. Le mercantilisme prend le dessus sur l’équité. Ce n’est
plus la qualité de l’œuvre qui sert de base à la publication, mais plutôt
l’argent que l’éditeur espère obtenir. L’équation est simple : plus vous êtes
connu, plus le revenu sera élevé. Avec le temps, à force d’appliquer ce système
tordu, il devient malicieux et rabaisse le travail de l’auteur, la matière
première de l’industrie (pas d’auteur, pas de livre). Cette manière d’administrer
l’aide financière gouvernementale date d’un autre siècle et devrait être revue.
La discrimination systémique est la pire qui existe. Elle s’installe
insidieusement sans qu’on s’en aperçoive; on finit par croire que c’est normal.
C’est la loi. C’est le règlement. On se cache derrière la politique qui devient
la règle. On persiste à discriminer, sans se poser de questions. Ne m’a-t-on
pas dit récemment que les livres qui ne sont pas choisis par les maisons
agréées sont tous simplement… mauvais ? Comment peut-on affirmer une telle
connerie si on n’ouvre pas l’enveloppe ? Et si je choisissais de ne pas
passer par des subventions ?
Une incohérence malicieuse qu’on ne détecte plus.
Pourtant, c’est le lecteur qui y perd au change. Combien de manuscrits jaunissent
dans un fonds de tiroir. L’écœurantite aigüe et la démotivation face à un
système qui ne lui reconnaît aucun droit empêcheront certains créateurs de
produire d’autres textes qui pourraient peut-être changer le monde.
Si on avait bien structuré le programme, l’auteur ne ferait qu’une seule
demande à un organisme indépendant qui jugerait son œuvre sur des critères de
qualité et non pas des principes mercantiles. Puis l’écrivain se tournerait
vers les maisons d’édition pour négocier un contrat. D’égal à égal. Ça
changerait l’univers du livre, vous ne croyez pas ? En prime, il n’y
aurait plus aucune raison de bloquer les droits d’auteur pour sept ou dix ans,
parfois à vie.
Tout le monde gagnerait dans un système aussi équilibré ! Le statut d’artiste
serait mieux respecté alors que la qualité de l’œuvre serait au cœur de la
décision de publier. Les droits d’auteur demeureraient sous le contrôle de leur
propriétaire réel. L’écrivain deviendrait un vrai partenaire dans l’industrie
du livre. L’argent des contribuables restant limité, un auteur pourrait
participer au financement de la mise en marché de son livre sans qu’on le
traite de nul. Il n’y aurait plus d’agrément; les maisons d’édition seraient
libres de signer des contrats en dehors de critères établis par le gouvernement.
La diversité des processus serait valorisée. Surtout, les lecteurs seraient
choyés par une plus grande variété de produits forts originaux.
Je suis certaine que plus de gens s’intéresseraient à ce segment de
l’industrie des arts. On en parlerait dans les journaux, à la une SVP ! La
télé s’emparerait de la nouvelle. On discuterait tous les jours de littérature
à la radio. La population lirait plus et on vendrait plus de livres. Je vois
déjà le Gala littéraire ! En décembre… après les Salons du livre de l’automne.
Pour donner des idées de cadeaux de Noël. Il y aurait le spécial de juin… pour
les achats qu’on traîne dans sa valise en vacances.
Ça changerait le monde…
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Vos commentaires seraient appréciés.
Bien évidemment, mon texte ne fera pas l’affaire de tous. J’ai même hâte de voir qui fera
des commentaires... peut-être que ce sera comme tout ce qui touche à la littérature : on ignorera.
Suzie Pelletier
Merci d'encourager les éditions indépendantes
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Bien évidemment, mon texte ne fera pas l’affaire de tous. J’ai même hâte de voir qui fera
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