jeudi 6 septembre 2018

Merci Lise Payette

La nouvelle est tombée il y a quelques heures. Lise Payette n'est plus. J'offre mes sympathies à toute la famille et ses amis.

J'ai de la misère à définir ce que je ressens face à ce départ. De la tristesse et de la nostalgie. Bien sûr. De la fierté aussi. D'avoir vécu à son époque, d'avoir vu de près sa manière de relever les défis. J'ai appris de son exemple. Cette femme déterminée m'a influencée plus d'une fois dans ma vie. J'ai une immense reconnaissance pour les réalisations de cette femme volontaire et résolue, pour me permettre à moi, une femme née dans les années 50, de suivre le chemin que j'ai tracé et que je trace encore, par moi-même.

Ce matin, j'étais en train de me préparer à une journée d'écriture et de vérification de textes quand la mort de Lise Payette a été annoncée, presque en même temps, par toutes les chaînes et tous les journaux du Québec, du Canada et de la France. Je n'étais plus capable de me concentrer.  Lise était dans ma tête et me souriait. Je me souviens de cette femme qu'on a connue sur la scène publique. Une écrivaine de grand talent, une politicienne infatigable, une commentatrice qui nous fait réfléchir, même quand on n'est pas d'accord avec elle. Je me souviens bien de son rêve de voir le Québec indépendant, mais elle a surtout influencé ma vie par son leadership et sa manière d'aider les femmes à assumer leur place dans la société, à devenir indépendantes. « Arrêtez d'avoir peur et foncez ! » nous répétait-elle si souvent.

Je me souviens qu'en 1976, j'ai changé de nom. Ce n'était pas mon choix. Denis et moi venions de nous marier. Si notre idée du mariage nous faisait nous identifier en tant que partenaire, d'égal à égal, dans cette entreprise ou l'amour est la monnaie d'échange, la loi le voyait autrement. Ainsi, pour le dentiste, le médecin, la banque et bien d'autres,  je devenais mme Denis Fortin.

À quelques occasions, par de longues discussions et une grande ténacité, j'ai réussi à garder mon prénom. La milice (6e régiment d'artillerie de campagne à Québec) a accepté. J'ai toujours soupçonné que les officiers supérieurs ne voulaient pas de deux capitaines Denis Fortin... on aurait pu se mêler, quoi ! Dagh !

Puis, il y a eu l'université. Je voulais garder mon nom de jeune fille. « Mais non ! Ça ne se fait pas ! Que dirait votre mari ? » Ça m'enrageait ! J'ai réussi à l'obtenir au nom de Suzie Pelletier-Fortin. C'était d'ailleurs une belle réussite à l'époque ! C'était la loi aussi en 1978.

Même Sears m'a envoyé une carte de crédit au nom de Mme Denis Fortin. Pourtant, ma carte de crédit Visa, par une demande spéciale, portait au moins mon prénom... Pour Sears, j'ai fait la rebelle. Je refusais de signer avec le nom sur la carte. Je signais « Suzie Fortin », surtout quand j'avais de nombreux achats... et que la file d'attente était longue. La rebelle en moi grinçait des dents. Bien sûr, on refusait ma signature.  « C'est de votre faute, que je leur disais, il fallait mettre mon vrai nom, pas celui de mon mari ! »  Quand ça ne marchait pas, je laissais tous mes achats sur le comptoir et je partais.

Un de ces jours de rébellion, alors que j'ai senti que les femmes derrière moi prenaient mon bord, je ne me suis pas éloignée du comptoir contrairement à ce que je faisais d'habitude. Je voulais voir ce qui se passerait. Le magasin était bondé et il faisait chaud. Pourtant, deux autres femmes ont fait exactement comme moi puis, quand on a refusé leur signature, elles sont venues me rejoindre. La discussion était belle. On a parlé de l'idée de Lise Payette de nous permettre de garder nos noms de naissance. Nous rêvions ! Je jubilais, car la mentalité changeait.

Ma rébellion a duré cinq ans. Puis il y a eu Lise Payette ! Je l'admirais tellement ! Elle a mis la loi de mon bord. En 1981, le parlement a voté la réforme du droit de la famille. Tout d'un coup, je cessais d'être la femme de mon mari et je devenais une citoyenne à part entière avec ma voix, mon nom et mon chemin.  En 1984, alors que Denis et moi déménagions dans la région de Montréal parce que nos emplois l'exigeaient, j'en ai profité pour reprendre mon nom de jeune fille. Ça s'est fait facilement, parce que la loi me le permettait. Merci Mme Payette.

À mon arrivée à Montréal,  je suis passée à la banque recommandée par le concessionnaire auto pour avoir un prêt. On m'a dit que je ne pouvais pas l'avoir sans la signature de mon mari. Surtout, il m'a dit que j'étais une femme et que mon mari était responsable de mes dettes. J'ai dit au gérant qu'il était rétrograde et je suis partie. Lise Payette ayant fait changer la loi. Je savais donc que je trouverais une banque qui m'autoriserait ce prêt sur ma seule valeur personnelle. Je n'ai pas eu peur et j'ai foncé.  J'ai changé de banque aussi. Merci Lise Payette.

Cette même année, je suis passée chez Sears pour demander une carte à mon nom, Suzie Pelletier, bien sûr. Toujours aussi rebelle, j'ai indiqué que j'étais mariée, mais j'ai refusé d'écrire le nom de mon mari. Quand la préposée m'a dit que je devais le mettre, j'ai simplement dit que la loi ne m'y obligeait pas et que ce n'était pas de ses affaires. Merci Mme Payette ! Depuis, plus personne ne m'appelle Fortin... au Québec du moins, car ailleurs, c'est une autre histoire !

À partir de ce moment, j'ai foncé vers l'avant en dessinant MON avenir. Je n'arrête pas depuis. Quant à Denis Fortin, il est toujours mon partenaire de vie et, en homme de son temps, il appuie la rebelle que je suis dans toutes mes aventures.

Chère Lise, les femmes du Québec n'ont pas encore fini de poursuivre la voie que tu leur a tracée. Mais nous y travaillons tous les jours. On va y arriver. En arrêtant d'avoir peur et en fonçant ! Merci, Lise Payette, d'avoir si bien pavé notre chemin.

Bon repos !


Suzie Pelletier
Auteure et conférencière
www.editionsdudefi.com